Empreinte eau et impact des réservoirs hydroélectriques du nord Québécois sur le climat régional

Les résultats peuvent servir d’outils dans le développement d’aménagements hydroélectriques dans le Nord québécois. Ils permettent entre autres aux décideurs de comprendre et d’anticiper l’échelle temporelle, spatiale et la nature des changements climatiques associés à la création de réservoirs hydroélectriques.

Détails du projet
Programmation scientifique
Programmation 2014-2019
Thématique(s) et priorité(s)
Simulations et analyses climatiques
Début et durée
Mai 2015 - Septembre 2016
Statut du projet
Terminé
 
Responsable(s) scientifique(s)
Daniel Nadeau
Université Laval
Biljana Music
Ouranos
Mahdi Tew-Fik
Polytechnique Montréal

Contexte

Au Québec, 96% de la production totale d’électricité est tirée de ses abondantes ressources hydrauliques. Ensemble, les milliers de rivières et de lacs couvrent près de 12% du territoire. Les grandes étendues d’eau comme les lacs et les réservoirs ont des propriétés bien différentes des sols avoisinants. Elles emmagasinent la chaleur pendant la saison chaude, diminuent localement la rugosité de la surface ainsi que les écarts de température diurne. Elles constituent aussi une source importante d’eau transférée à l’atmosphère via l’évaporation. Toutes ces propriétés font que les lacs et les réservoirs influencent le climat régional, et à ce jour, peu d'études ont analysé cette influence dans le détail en milieu boréal.

 

Objectif(s)

  • Analyser les changements hydroclimatologiques associés à la mise en eau des réservoirs du Complexe La Grande, dans le nord du Québec, en ce qui a trait aux variables des bilans hydrique et énergétique en fonction de différentes échelles spatiales et temporelles.

Démarche

  • Production de deux simulations climatiques sur un domaine couvrant le Québec à 12 km de résolution spatiale: une première sans les réservoirs hydroélectriques, correspondant à la couverture du sol avant l’ennoiement, et une deuxième avec les réservoirs. Nous utilisons ici la cinquième génération du Modèle régional canadien du climat (MRCC5) couplé avec les modèles FLake et CLASS V3.6 (Canadian LAnd Surface Scheme).

  • Validation des simulations avec les données des stations météorologiques de la région et des données d’Hydro-Québec du projet Eastmain-1.

  • Évaluation des impacts des réservoirs sur la température de l’air, sur les composantes des bilans hydrique et d’énergie ainsi que le recyclage de la précipitation.

Résultats

La première étape du projet a permis d'évaluer l'habileté du MRCC5 à simuler le climat historique dans la région de la Grande Rivière au nord du Québec. La comparaison avec les 38 stations météorologiques de la région (figure 1) révèle que le modèle a un biais froid tout au long de l'année mais surtout au printemps. La précipitation simulée excède largement la précipitation observée (plus de 48%) ; la sous-captation de la neige aux stations est en partie responsable de cette surestimation mais ne l'explique pas entièrement. À l’échelle du bassin versant, le modèle reproduit les termes du bilan d’énergie mensuel de manière satisfaisante. Une surestimation du rayonnement solaire réfléchi en surface, du flux de chaleur latente et sensible est cependant observée en avril et mai, en lien avec la surestimation de la durée du couvert nival rapportée dans des études antécédentes. Ces écarts ont cependant peu d’effet sur les résultats de l’analyse puisqu’ils existent dans les deux configurations (avec et sans réservoir).

Figure 1

Figure 1: Contour du bassin de la Grande Rivière et ses centrales hydroélectriques (losanges noirs). Les stations météorologiques et les tours de mesures des flux turbulents du projet Eastmain-1 utilisées dans cette étude sont identifiées respectivement par les cercles rouges et les triangles verts

Dans la deuxième étape, la comparaison des deux simulations du MRCC5 a permis d'évaluer l'influence des réservoirs. Il se trouve que les impacts de la mise en eau des réservoirs sur la température, le bilan d’énergie et l’évapotranspiration se limitent aux tuiles des réservoirs. Tel que montré à la figure 2, en été, la présence des réservoirs entraine un léger refroidissement (moins de 0,5°C) parce que la baisse des températures maximales journalières (entre –0,6°C et –1,3°C) excède légèrement la hausse des températures minimales (entre +0,5°C et +0,8°C). En hiver, les réservoirs engendrent un réchauffement de l'air (entre +0.4°C et +1.0°C), en lien avec la hausse des températures minimales journalières (entre +1,2 °C et +1,8°C).

La présence des réservoirs a aussi pour effet d'augmenter le rayonnement solaire net à la surface toute l’année, surtout au printemps (11%) et en été (3,8%). Durant ces saisons, les flux de chaleur sensible et latente sont diminués ou presque inchangés. Ces flux turbulents de surface augmentent en automne: le flux de chaleur sensible augmente de 60% et le flux de chaleur latente augmente de 25% en moyenne sur les réservoirs. En hiver, le flux de chaleur sensible et de chaleur latente sur les réservoirs augmente de 210% et de 36%, respectivement.

figure 2

Figure 2: Changement de la température moyenne pour chaque saison liée à l’influence du réservoir dérivé de deux simulations du MRCC5 (avec et sans les réservoirs). La variabilité interne propre au modèle régional est représentée par les carrés grisâtres.

L’analyse des composantes du cycle hydrologique à l’échelle du bassin versant révèle que les réservoirs ont peu d’impacts sur la précipitation et le ruissellement saisonnier. Ces changements sont plutôt attribuables à la variabilité interne propre au MRCC5. L’évaporation nette du Complexe hydroélectrique La Grande est estimée à 1,7 m3/GJ. En fait, même si l’évaporation augmente significativement au niveau des réservoirs (47 mm/an en moyenne), cette hausse est de seulement 2% (5,9 mm/an) à l’échelle du bassin versant, étant donnée sa grande superficie. Finalement, la présence des réservoirs n’influence pas le taux auquel l’évapotranspiration est recyclée à l’intérieur même du bassin versant. Dans les deux simulations du MRCC5 (sans et avec les réservoirs), environ 13% de l’évapotranspiration annuelle contribue à la précipitation qui tombe sur le bassin versant. Ainsi, des 5,9 mm d’évaporation additionnelle due à la présence d'un réservoir, seulement 3,6 mm précipitent à l’extérieur du bassin sur une année.

En résumé, à l’échelle du bassin versant, la mise en eau de réservoirs à des fins de production hydroélectrique n’augmente pas significativement l’évapotranspiration par rapport au milieu ambiant avant l’existence des réservoirs.

 

Retombées pour l'adaptation

Les résultats peuvent servir d’outils dans le développement d’aménagements hydroélectriques dans le Nord québécois. Ils permettent entre autres aux décideurs de comprendre et d’anticiper l’échelle temporelle, spatiale et la nature des changements climatiques associés à la création de réservoirs hydroélectriques.

Cette étude confirme la valeur ajoutée des modèles régionaux de climat (couplés à des modèles de lac) par rapport aux modèles de climat globaux, ces derniers n’ayant pas une résolution assez fine pour capter ce type d'effets très localisés. Cela est particulièrement important dans des régions où l’on retrouve de larges étendues d’eau ou plusieurs petits lacs à proximité.

Publications scientifiques

Date
Titre
Auteur
Type de document
Langue(s)
2018
Impacts of boreal hydroelectric reservoirs on seasonal climate and precipitation recycling as…
Irambona, C., Music, B., Nadeau, D. F., Mahdi, T…
Anglais
2016
Impacts des réservoirs hydroélectriques du bassin versant de la rivière la grande sur l…
Irambona, C.
Français
Notes

Le MRCC est développé par le centre ESCER de l’UQAM, en collaboration avec Environnement et Changement climatique Canada (ECCC).

Les calculs MRCC5 ont été effectués sur le supercalculateur Guillimin de l’Université McGill, sous la gouverne de Calcul Québec et Calcul Canada.

Financeur(s)

Autres participants

Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ)

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