Comprendre la science du climat
Les modèles climatiques
Pour simuler le climat futur, les climatologues utilisent des modèles climatiques. Il s’agit de logiciels complexes représentant les principales interactions physiques dans l’atmosphère, l’océan, la glace et la surface de la Terre. Celles-ci sont modélisées par les équations mathématiques fondées sur les lois physiques de la mécanique des fluides.
Typiquement, les modélisations climatiques couvrent la période 1850-2100. Pour réaliser les simulations climatiques, il faut fournir aux modèles les valeurs de concentrations de gaz à effet de serre (GES) observées dans le passé et estimées sur les prochaines décennies. Ceci permet de voir comment les GES influencent le climat. Les résultats des simulations sont composés de données virtuelles, de température, précipitation, humidité, vent, etc. à différents points dans l’espace et dans le temps. Ces données aident à comprendre les processus climatiques et alimentent les descriptions du climat futur dans un contexte où les concentrations de GES changent. Les résultats des modèles fournissent ainsi de l’information climatique pour soutenir les efforts en adaptation aux changements climatiques et en atténuation.
Il existe deux principales catégories de modèles climatiques : les modèles globaux du climat (MGC) (ou plus récemment appelés des « modèles du système terrestre ») qui représentent le climat sur l’ensemble du globe et les modèles régionaux du climat (MRC) qui se concentrent sur une partie du globe.
On appelle « simulation climatique » le résultat de l’exécution du modèle sur le passé et le futur alors qu’une « projection climatique » réfère au futur seulement.
Figure 1. Schéma d’un modèle global du climat (gauche) | Schéma d’un modèle régional du climat (droite)
Près d’une cinquantaine d’organisations à travers le monde développent des modèles climatiques et fournissent les résultats des simulations dans le domaine public. Ceci s’inscrit dans le cadre du Projet d’intercomparaison des modèles couplés (CMIP), un programme mondial de recherche sur le climat. Les phases CMIP sont renouvelées à chaque six ou sept ans et servent d’assise aux rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Le 6e rapport du GIEC, publié en 2021, s’appuie sur la 6e phase de CMIP (CMIP6) et offre une mise à jour du 5e rapport qui reposait sur CMIP5.
Chaque modèle climatique donne des résultats différents selon ses forces et faiblesses. Par exemple, certains modèles simulent bien le couvert de neige au sol, en contrepartie, ils peuvent avoir des faiblesses pour simuler les précipitations extrêmes. Il est donc recommandé d’utiliser plusieurs modèles climatiques provenant de plusieurs organisations pour faire une description plus fiable du climat futur.
Le Modèle régional canadien du climat (MRCC)
Depuis 1991, l’UQAM et le centre ESCER (Centre pour l’étude et la simulation du climat à l’échelle régionale) collaborent avec Environnement et Changement climatique Canada et d’autres centres de recherche pour développer le Modèle régional canadien du climat. Ouranos travaille avec ces centres et produit des simulations climatiques avec le MRCC. Les simulations sont habituellement réalisées sur l’Amérique du Nord.
La collaboration entre les organisations assure une recherche de haut niveau. Les résultats issus du MRCC donnent ainsi accès à une information climatique de choix pour améliorer la compréhension du climat nord-américain et appuyer l’adaptation aux changements climatiques, tant à des échelles spatiales fines que pour des phénomènes plus complexes.
Les scénarios de concentrations de gaz à effet de serre : des RCP aux SSP
Sachant que l’évolution des conditions climatiques dépend du contenu de GES actuel et futur dans l’atmosphère, l’utilisation de scénarios de concentrations devient indispensable pour alimenter les modèles climatiques et refléter le champ des possibles. Ces scénarios couvrent plusieurs trajectoires de concentrations de GES puisqu’il est impossible de prédire avec exactitude combien seront émis dans l’avenir. À chacun de ces rapports, le GIEC communique les changements climatiques fondés sur une mise à jour des scénarios de concentration de GES.
Pour son 5e rapport, publié dans son intégralité en 2014, les RCP (Representative Concentration Pathways), ou profils représentatifs de concentrations, ont été retenus. Les RCP étaient caractérisés par les valeurs de forçage radiatif, un terme de climatologie qui désigne la différence entre l’énergie reçue et l’énergie retournée par le système climatique. Lorsque la concentration de GES augmente, l’effet de serre bloque le retour de l’énergie, il en résulte une hausse du forçage radiatif et une perturbation accrue de l’équilibre du climat. Par exemple, les RCP4.5 et RCP8.5, quantifiaient des concentrations de GES atteignant des forçages radiatifs de 4,5 W/m2 et 8,5 W/m2 en 2100. Pour construire ces scénarios, des hypothèses socio-économiques sont posées (p. ex. population, éducation, urbanisation, PIB). Celles utilisées pour les RCP n’étaient toutefois pas normalisées, ce qui rend difficile leur association avec les cibles climatiques (p. ex. la cible de l’Accord de Paris qui limite le réchauffement planétaire à 1,5°C).
Les SSP (Shared Socio-economic Pathways), ou trajectoires communes d’évolution socio-économiques, adoptés dans le 6e rapport du GIEC, dont la publication a été complétée en 2023, simplifient l’interprétation. Les SSP sont également utilisés dans CMIP6. Pour ces scénarios de concentrations de GES, les chercheurs quantifient à la fois les paramètres socio-économiques futurs et les émissions de GES. Il est donc possible de lier les choix d’une société, présentés dans les descriptifs des SSP, à des niveaux de réchauffement du climat.
SSP1, la durabilité
Le monde évolue vers une voie plus durable, favorisant un développement plus inclusif, respectant les limites qu’on perçoit pour l’environnement. Les biens communs mondiaux sont mieux gérés, les investissements dans la santé et l’éducation limitent la démographie, l’accent mis sur la croissance économique progresse vers une emphase plus large sur le bien-être humain. Grâce à un engagement grandissant pour atteindre les objectifs de développement, les inégalités sont réduites à l’intérieur des pays et entre eux. La consommation est orientée vers une croissance matérielle faible ce qui réduit la pression sur les ressources et l’énergie.
SSP3, les rivalités régionales
Un nationalisme en résurgence, des préoccupations centrées sur la compétitivité, la sécurité et les conflits régionaux poussent les pays à se refermer. Les politiques évoluent dans la même direction. Les pays se concentrent sur la réalisation de leurs objectifs de sécurité énergétique et alimentaire interne au détriment d’un développement plus global. Peu d’investissement sont faits dans l’éducation et les technologies. Le développement économique est lent, la consommation en ressources s’intensifie et les inégalités s’aggravent. La croissance démographique est faible dans les pays industrialisés et élevée dans les pays en développement. Les préoccupations environnementales sont secondaires ce qui conduit à une forte dégradation de l’environnement dans certaines régions.
Adapté de Riahi et al. 2017
Le SSP4 n’est pas décrit ici puisqu’il n’a pas été priorisé par CMIP6 et le GIEC.
SSP2, le milieu de route
Les tendances sociales, économiques et technologiques actuelles se maintiennent dans le monde. Le développement et la croissance des revenus progressent de manière inégale, certains pays réalisent des progrès relativement bons tandis que d’autres ne répondent pas aux attentes. Les institutions mondiales et nationales travaillent à l’atteinte des objectifs de développement durable, mais les progrès sont lents. La qualité de l’environnement se dégrade, des améliorations sont néanmoins perceptibles et, dans l’ensemble, la consommation des ressources et de l’énergie diminue. La croissance démographique est modérée, elle se stabilise dans la seconde moitié du siècle. Les défis pour réduire la vulnérabilité sociale et environnementale subsistent.
SSP5, le développement basé sur les énergies fossiles
Les marchés concurrentiels, l’innovation et les sociétés participatives sont priorisés afin d’atteindre un progrès technologique rapide et s’appuyer sur le développement du capital humain qui prendra la voie du développement durable. Les marchés mondiaux sont de plus en plus intégrés. De nombreux investissements sont faits dans la santé, l’éducation et les institutions. La poussée en faveur du développement économique et social accentue l’exploitation des énergies fossiles et l’adoption de modes de vie qui augmentent la pression sur les ressources. Tous ces éléments entraînent une croissance rapide de l’économie mondiale. La démographie plafonne autour de 2050 et décroit au XXIe siècle. Les problèmes environnementaux locaux sont gérés avec succès. On a foi en la capacité de gérer efficacement les systèmes sociaux et écologiques y compris par la géo-ingénierie si requis.
Les scénarios de GES courants sont identifiés selon le terme ‘SSPx-y’ où ‘x’ est le numéro du descriptif et ‘y’ réfère au forçage radiatif atteint en 2100, à la manière des RCP. Par exemple, le SSP2-4.5 repose sur le SSP2, le milieu de route, avec un forçage radiatif de 4,5W/m2 en 2100. Il faut toutefois être prudents lorsqu’on compare les RCP et les SSP. Ainsi, bien que les forçages radiatifs des RCP et des SSP soient similaires à la fin du siècle, l’évolution des concentrations de GES des deux générations de scénarios est complètement distincte comme l’illustre la figure suivante. Ceci est dû aux trajectoires qui diffèrent dans le temps.
Figure 2. Évolution des concentrations annuelles de CO2 des scénarios RCP et SSP. Des différences importantes sont notables, spécialement dans le cas des scénarios RCP8.5 et SSP5-8.5. Source : Ouranos.
Les scénarios priorisés par le GIEC
Cinq SSP ont été priorisés dans le 6e rapport du GIEC. Pour chacun d’eux, les changements de température à la surface du globe ont été estimés à l’aide de plusieurs modèles climatiques. Les résultats sont présentés à la figure suivante.
Figure 3. Changement des températures globales pour les 5 SSP. Les lignes colorées représentent la valeur moyenne de l’ensemble des modèles climatiques. La ligne noire représente la valeur moyenne des simulations historiques. Les zones ombragées représentent l’enveloppe des incertitudes pour SSP3-7.0 et SSP 1-2.6. L’enveloppe n’est pas présentée pour les autres SSP par souci de clarté. Adaptée de GIEC, 2021. Résumé à l’intention des décideurs.
La figure montre:
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Une hausse de la température globale au moins jusqu'au milieu du siècle, dans tous les SSP considérés.
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Un réchauffement planétaire de 2 °C qui sera dépassé au cours du 21e siècle, sauf si des réductions importantes des émissions de GES ont lieu au cours des prochaines décennies.
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Une divergence dans les changements de température estimés pour chaque SSP qui s’accentue dans le temps.
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Des résultats nettement opposés à la fin du siècle avec un réchauffement global atteignant près de 5°C avec le SSP5-8.5 alors que les SSP1-2.6 demeure en deçà de 2°C.
Les différents scénarios SSP ont une fourchette des températures futures possibles considérable. Celles-ci croient également dans le temps. Lors d’une démarche d’adaptation, il est conseiller d’utiliser minimalement deux scénarios puisqu’aucun consensus sur des règles pour guider le choix de scénarios de GES n’a été établi. Ceci permet notamment de capturer la sensibilité aux scénarios et d’envisager des solutions d’adaptation flexibles devant un climat futur incertain.
Les incertitudes
Le terme « incertitudes » en études du climat ne réfère pas à la confiance ou au manque de confiance envers les projections climatiques. Le fait que le climat change est certain et indéniable. Toutefois, il y a de l’incertitude quant à l’ampleur du changement en raison de :
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La variabilité naturelle du climat : le climat varie de manière naturelle avec des années plus chaudes que d’autres.
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Les concentrations de GES : elles fluctuent selon les comportements de la population et ceux-ci ne peuvent pas être parfaitement prévus à long terme.
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Les modèles climatiques : ils sont des représentations imparfaites de la réalité.
À travers ces incertitudes, une chose est certaine, les différents futurs plausibles seront tous plus chauds, mais à des ampleurs et vitesses qui varient dans le temps.
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