Saviez-vous que lors de la vague de chaleur de 2021 en Colombie-Britannique, 91 % des décès ont concerné des personnes handicapées1? Ces personnes sont pourtant rarement prises en compte dans les stratégies d’adaptation aux changements climatiques des villes canadiennes.
Rencontre avec le professeur à la Faculté de droit de l’Université McGill, Sébastien Jodoin.
En collaboration avec Ouranos, il s’intéresse aux impacts des changements climatiques sur les personnes handicapées à Montréal et souhaite améliorer les pratiques en faveur d’une adaptation climatique plus inclusive au handicap.
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Ouranos : Tout d’abord, qu’est-ce que le handicap?
Sébastien Jodoin : Il n’est pas simple de répondre à cette question, car il existe plusieurs manières d’aborder le handicap.
D’un côté, le handicap peut être considéré comme le résultat des obstacles imposés par la société plutôt que de la limitation elle-même. Par exemple, une personne en fauteuil roulant n’est pas handicapée en raison de son incapacité à marcher, mais plutôt à cause de l’absence d’une rampe d’accès ou à cause de la stigmatisation des autres individus à l’égard de sa différence.
Le handicap peut aussi être perçu comme une partie intégrante de l’identité et comme source de fierté et de savoirs. Par exemple, beaucoup de personnes de la communauté sourde se considèrent comme une minorité culturelle et utilisent le mot « Sourd.e » pour se définir, plutôt que « malentendant.e ». L’expérience du handicap est subjective et varie selon les personnes, certaines se disent « en situation de handicap », d’autres adoptent fièrement l’expression « personne handicapée ».
Ces deux perspectives sont utilisées dans nos projets, nous permettant de mieux comprendre les barrières sociales qui accentuent la vulnérabilité climatique et la manière dont les savoirs et le leadership des personnes handicapées peuvent contribuer à renforcer la résilience.
Une autre définition
Au Québec, une personne avec un handicap est définie comme : « Toute personne ayant une déficience entraînant une incapacité significative et persistante et qui est sujette à rencontrer des obstacles dans l'accomplissement d'activités courantes. »
Ces incapacités peuvent être d’origine motrice, visuelle, auditive, intellectuelles et peuvent aussi être liées à la parole, au langage, à d’autres sens, à des fonctions organiques, à un trouble du spectre de l’autisme ou à un trouble grave de santé mentale. Source : Quebec.ca
O. : En quoi les personnes en situation de handicap sont-elles plus vulnérables aux changements climatiques?
S. J. : Les personnes handicapées présentent un risque accru de mortalité lors d’événements météorologiques extrêmes. Par exemple, 75 % des victimes de la vague de chaleur du 30 juin 2018 à Montréal vivaient avec une maladie chronique2.
Si certaines limitations physiques augmentent la sensibilité à la chaleur, les causes sont souvent structurelles : précarité économique, logements inadéquats, dépendance à des services essentiels parfois inaccessibles lors d’aléas climatiques.
Pourtant les données sur les impacts spécifiques des changements climatiques selon les types de handicap sont très limitées.
Il y a des subtilités dans le vécu des personnes handicapées qui sont encore ignorées. Par exemple, une personne aveugle peut avoir de la difficulté à lire le braille en période de grande chaleur, à cause de la sueur et une perte de sensibilité tactile.
Nous avons donc décidé de mener le projet Rien sur nous sans nous : la mise en œuvre d'une adaptation climatique inclusive du handicap dans la Communauté métropolitaine de Montréal, en collaboration avec Ouranos. Ce projet de recherche vise à mieux comprendre le vécu des personnes handicapées, au-delà de l’aspect médical, en lien avec différents aléas climatiques : vagues de chaleur, pluies extrêmes, cycles de gel-dégel, pluies hivernales et inondations. Il s’intéresse notamment à des facteurs comme :
l’accès à l’information;
les revenus;
l’isolement social.
O. : Pouvez-vous citer des initiatives où des villes qui intègrent efficacement les besoins des personnes handicapées dans leurs plans d’adaptation ?
S. J. : Aux États-Unis, les pratiques d’adaptation climatique tendent à être plus inclusives qu’au Canada, en partie grâce au Americans with Disabilities Act, une loi qui a permis à des personnes handicapées de poursuivre des villes pour leur manque d’inclusivité à la suite de catastrophes naturelles. Cela a poussé des villes comme Boston à agir, par exemple en distribuant des climatiseurs aux personnes handicapées.
Au Canada, Vancouver se démarque avec un projet de consultation et la distribution de vestes de glace pour les personnes handicapées intolérantes à la chaleur. Toutefois, les initiatives demeurent rares et restent très axées sur la chaleur. Aucune ville ne se distingue vraiment, mais avec de la volonté, Montréal pourrait devenir un leader en la matière.
O. : Quelles solutions concrètes recommanderiez-vous aux décideurs pour rendre l’adaptation plus inclusive?
S. J. : L’analyse des politiques d’adaptation climatique dans plusieurs villes canadiennes, dont Montréal et Québec, révèle que les personnes handicapées sont rarement mentionnées et peu consultées malgré leur grande vulnérabilité face aux événements climatiques extrêmes. Cette lacune est reconnue par plusieurs partenaires gouvernementaux.
Le point de départ essentiel est donc d’assurer la participation active des personnes handicapées aux décisions sur l’adaptation. Cela implique non seulement de les consulter, mais aussi de renforcer les capacités en :
formant les décideurs;
développant une expertise sur le sujet;
soutenant le leadership des personnes handicapées.
Ce travail est crucial mais il demeure complexe à mettre en œuvre. Les enjeux climatiques sont souvent relégués au second plan par les organismes de défense des droits des personnes handicapées, car ceux-ci doivent encore se battre pour des besoins de base comme un revenu décent ou un logement accessible.
O. : Quelles méthodologies utilisez-vous pour intégrer la perspective du handicap dans vos recherches sur l’adaptation inclusive?
S. J. : Le projet que nous menons avec Ouranos est de nature participative et s’appuie sur la collaboration des personnes ayant une déficience motrice, visuelle ou intellectuelle ou une maladie chronique. Elles vont contribuer à toutes les étapes du projet de recherche, incluant:
la conception des questionnaires;
les entrevues;
l’analyse des résultats;
la co-construction de solutions.
Une attention particulière sera portée à rendre les connaissances accessibles, notamment en langage clair.
O. : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce sujet?
S. J. : Je mène des recherches sur les droits humains et les changements climatiques depuis 2005. En 2015, j’ai reçu le diagnostic de sclérose en plaques. J’ai alors découvert que, comme beaucoup d’autres personnes atteintes de cette maladie, j’étais très intolérant à la chaleur.
C’est ce qui m’a fait prendre conscience du lien entre handicap et climat. En tant qu’expert climatique, j’ai aussi constaté un grand vide dans les connaissances. C'est ce qui m’a poussé, en 2020, à lancer un programme de recherche sur le handicap et l’action climatique.
D'autres ressources sur le sujet
Le Programme de recherche sur les actions climatiques inclusives en matière de handicap propose une compilation de rapports, d'études et de commentaires. Le Balado Enabling Commons permet d'entendre des activistes, des experts et des chercheurs discuter de handicap et de changements climatiques.
programme de recherche sur les actions inclusives en matière de handicap
1. Extreme Heat and Human Mortality: A Review of Heat-Related Deaths in B.C. in Summer 2021, Report to the Chief Coroner of British Columbia Release Date: June 7, 2022
2. Direction régionale de santé publique de Montréal (2019). Vague de chaleur été 2018 à Montréal : enquête épidémiologique, 36p., ISBN 978-2-550-84020-6
Apprenez-en plus sur le projet Rien sur nous sans nous : la mise en œuvre d'une adaptation climatique inclusive du handicap dans la Communauté métropolitaine de Montréal