Dossier spécial : Les inégalités sociales et les changements climatiques

 

Dans le contexte des changements climatiques, les inégalités sociales préexistantes dans nos sociétés sont exacerbées.

Cette section du dossier spécial traite des impacts des changements climatiques sur les inégalités relatives à la santé, aux communautés nordiques, au sexe et au genre, et aux mesures d’adaptation, ainsi que les enjeux qui en découlent. 

 

 
​​​Inégalités sociales de santé


Une inégalité sociale de santé se caractérise par une variation de l’état de santé des individus induite par des critères sociaux. Par exemple, les personnes à plus faibles revenus sont plus à risque d’avoir des problèmes de santé.  

Les changements climatiques aggravent les facteurs d’inégalités sociales et creusent les écarts relatifs aux déterminants de la santé. Les populations qui souffrent d’inégalités en termes de santé sont indéniablement prédisposées à subir des impacts directs et indirects disproportionnés dus aux changements climatiques : 

Figure 2 : Les changements climatiques et l'équité en santé (inspiré de : Campagna et al. 2023).

 

Par impacts directs, on parle notamment des effets causés par les vagues de chaleur, les inondations et ​les​ tempêtes.  

Par impacts indirects, il est question du dérèglement des écosystèmes, de l'évolution des maladies infectieuses ou encore de l’augmentation des conflits en lien avec la raréfaction des ressources naturelles. 

 
Vagues de chaleur et pollution atmosphérique

Au Québec, les vagues de chaleur et la pollution atmosphérique sont deux phénomènes majeurs qui affectent directement la santé et exacerbent les inégalités. La pollution de l'air, accentuée lors des épisodes de chaleur extrême, entraîne une concentration de polluants qui aggrave les maladies chroniques et augmentent les décès prématurés.  

De manière générale, les populations urbaines sont plus touchées par ces deux types d’aléa. On parle alors d’inégalités territoriales en lien avec les changements climatiques. D’une part, tous les territoires ne sont pas touchés de la même façon et, d’autre part, tous les individus n’ont pas la même mobilité territoriale. Certaines populations n’ont pas les moyens de vivre en périphérie urbaine ou en campagne, ce qui les expose davantage aux vagues de chaleur et à la pollution atmosphérique.  

Par ailleurs, les vagues de chaleur et la pollution atmosphérique touchent principalement les populations ayant un statut socioéconomique moins avantageux. Celle​s​-ci ont un accès limité aux espaces verts et à la climatisation, et habitent des logements généralement mal isolés ou ​qui ​sont situés dans des ​îlots​ de chaleur urbains. 

De manière concrète...

À l’échelle du Canada, les décès prématurés liés à la pollution atmosphérique sont plus élevés dans les zones très peuplées. Au Québec, la pollution atmosphérique aurait été responsable de 4000 décès ​prématurés ​selon ​un rapport ​de 2021 de Santé Canada.

Une étude menée dans les 9 grandes villes du Québec en 2011 a révélé que ​​les ilots de chaleur urbains sont généralement habités par des personnes de conditions modeste ou pauvre. À Montréal, les quartiers avec le plus faible statut socioéconomique regroupent 73 % des ilots de chaleur urbains, alors que les quartiers avec un statut plus élevé en recèlent seulement 20 %. Toujours à Montréal, une étude a également révélé que les personnes à plus faibles revenu​s​ vivent plus souvent à proximité des grands axes routiers et sont par conséquent plus exposées​ à la pollution atmosphérique. 

Personnes en situation de handicap

Les changements climatiques ont des impacts disproportionnés sur les personnes en situation de handicap. La principale cause de cette vulnérabilité est la ​​discrimination sociétale, c’est-à-dire les inégalités en matière d​e​ sécurité alimentaire, d'accès à l'eau potable, de services de santé, d'éducation et de logement.

Cette discrimination limite l’accès de ces personnes aux ressources et services nécessaires à leur adaptation. Bien qu'elles représentent 22 % de la population canadienne, les personnes en situation de handicap sont sous-représentées dans les politiques climatiques, malgré leur potentiel à contribuer de manière innovante aux solutions d’adaptation.

Lors de phénomènes météorologiques extrêmes​, comme les ouragans et les vagues de chaleur, les informations transmises et les mesures mises en place négligent les besoins et les réalités de ces personnes. En effet, l’accès aux ressources, aux infrastructures et aux services nécessaires ​à leur adaptation​ est limité. Cela accroît donc leur vulnérabilité durant un évènement extrême, ce qui entraine une augmentation du taux de mortalité et un risque de morbidité accrus. Leur vulnérabilité est accentuée par des déficiences physiques, cognitives et sensorielles. De plus, les situations d’urgences climatiques peuvent exacerber les symptômes et accroitre la violation des droits humains, telles que la négligence, l'abandon et la maltraitance.

De manière concrète...

Lors de la vague de chaleur de juillet 2018 à Montréal, 25,8 % des décès étaient des personnes atteintes de schizophrénie, alors qu'elles ne représentent que 0,6 % de la population. En effet, le pourcentage de décès des personnes ayant des troubles de santé mentale est trois fois plus élevés lors de vagues de chaleur que celui de la population générale.  

 

Inégalités pour les communautés nordiques


Le climat des régions nordiques du Canada se réchauffe trois fois plus vite que la moyenne mondiale. Au Québec, les changements climatiques entraînent de lourdes répercussions dans le nord​ de la province​, affectant de manière disproportionnée le bien-être de ses habitants. Les régions situées au nord du 50​ème​ parallèle, comme le Nord-du-Québec et la Côte-Nord, sont confronté à des ​​​​défis socioéconomiques de taille. En effet, la croissance démographique et l'intensification des activités de développement exercent une pression sur les territoires, modifiant profondément les modes de vie locaux.  

Bien que certaines communautés aient déjà mis en place des plans d'adaptation pour faire face à ces défis, l'ampleur et la rapidité des changements climatiques menacent de dépasser la capacité d'adaptation des communautés nordiques. 

Figure : Augmentation des températures dans le Nord du Canada


Figure 2 : L'augmentation des températures dans le Nord du Canada (tiré de : Institut climatique du Canada, 2022)

Au Nunavik, la saison des glaces pourrait être considérablement écourtée dans les prochaines décennies en raison de l’augmentation des températures. Les routes d'hiver, essentielles pour relier des communautés côtières isolées et garantir leur accès aux services de base, deviendront quant à elles de moins en moins praticables, voire inaccessibles.

L’augmentation des températures entraîne également le dégel du pergélisol. Ce phénomène climatique endommage les routes, les bâtiments et les aéroports, réduisant ainsi l'accès au territoire, la mobilité des personnes et l’accès aux soins d’urgence. À terme, ces conséquences entraineront des coûts majeurs pour les habitants, creusant davantage les inégalités en matière de culture, de santé, de bien-être et de prospérité économique.

​Une diversité d’autres impacts en cascade sont envisageables, tels que :  

  • L’augmentation des niveaux d'eau entraînant l’érosion et la submersion côtière.

  • La modification du régime des précipitations et de la fonte des glaces, conduisant à des précipitations extrêmes et à des inondations plus fréquentes.

  • L’augmentation de la fréquence des événements météorologiques extrêmes, comme des orages pouvant provoquer des feux incontrôlés.  

Les nations autochtones au Québec

Il est important de noter la situation particulière des Premières Nations et du peuple Inuit du Québec.  Celles-ci entretiennent des relations étroites avec leur territoire et dépendent de leur environnement au quotidien. Cela les place au premier plan des impacts des changements climatiques. Qui plus est, les Premières Nations et le peuple Inuit du Québec font face à plusieurs inégalités sociales, dont la marginalisation géographique et politique, et la défavorisation matérielle. En conséquence, ils subissent une détresse économique et psychologique accrue.

​​Perspectives autochtones | Ouranos

​Indigenous Environmental Justice - Indigenous Peoples: Environmental and Climate Justice​ 

 

Les territoires nordiques du Québec font face à des inégalités intersectionnelles spécifiques. Les effets historiques et continus du colonialisme contribuent à la marginalisation socioéconomique et politique actuelle des communautés nordiques. Les changements climatiques exacerbent quant à eux ces inégalités territoriales préexistantes.  La précarité du logement est plus élevée dans les régions du Nord du Canada et les services de santé et de transport sont insuffisants. Ces territoires seront confrontés à des risques uniques et potentiellement dévastateurs si le déficit n’est pas comblé.  

Pour remédier à ce débalancement, les savoirs et les pratiques autochtones devraient être considérés aujourd’hui comme égales aux connaissances scientifiques. Ces savoirs sont souvent sous-représentés, alors qu’ils constituent de véritables ​​leviers d’actions d’adaptation et contribuent de manière active à la résilience des territoires nordiques. Encore faut-il que ces savoirs soient développés dans un véritable processus de cocréation entre chaque nation et les gouvernements locaux. 

 

Inégalités de sexe et de genre


Au Québec, on constate un manque de connaissances des enjeux genrés relatifs aux changements climatiques. La recherche de solutions, la sensibilisation et l’​​intégration de ces enjeux dans les efforts d’adaptation sont sous-représentés. Les politiques publique​s​ et les groupes environnementaux de lutte contre les changements climatiques ne reconnaissent pas nécessairement les liens entre le genre et les changements climatiques, ce qui contribue à creuser les inégalités. Bien que l’expérience des femmes à l’égard des changements climatiques soit très complexe, les faits scientifiques montrent qu’elles sont affectées disproportionnellement par rapport aux hommes.

Ces inégalités s’expliquent d’abord par la persistance des rôles genrés entre hommes et femmes. Dans la province, on observe notamment des disparités en matière de travail et de tâches quotidiennes. Les inégalités salariales limitent la capacité d'adaptation des femmes, qui​​ gagnent en moyenne moins que les hommes et sont plus souvent en situation de pauvreté. Le salaire horaire moyen des femmes québécoises correspond à seulement 91 % de celui des hommes québécois, tandis que celui des femmes immigrantes ne représente que 85 % de celui des hommes natifs. Pour ces raisons, les femmes sont généralement plus vulnérables que les hommes​ aux effets des changements climatiques, lesquels​ aggravent le stress économique, ​la précarité ​des moyens de subsistance, l’insécurité alimentaire et les troubles mentaux. De plus, les femmes ont plus souvent la charge de certaines personnes, telles que les enfants, les aînés et les ​personnes ​malades. Cette position d’aidante naturelle, issue de la persistance des rôles genrés, rend les femmes plus vulnérables aux changements climatiques.  

 

A l’échelle mondiale, les femmes ont 14 fois plus de chance de mourir que les hommes durant les événements climatiques extrêmes. Elles doivent à la fois se rétablir de l’événement et continuer d’assurer leurs tâches familiales. Elles peuvent être confrontées à un manque de ressources en termes de santé, être victimes de violences basées sur le genre et subir une augmentation du stress économique ou psychique. Ces répercussions inégalitaires liées au genre sont également observées au Canada durant les désastres climatiques.  

Bien que l’expérience vécue durant les évènements extrêmes ne soit pas homogène, certains groupes de femmes peuvent être plus sensibles en raison d’inégalités intersectionnelles. Les femmes autochtones, les autres femmes racialisées, les femmes migrantes, les femmes à faible revenu, les mères célibataires et les femmes souffrant de problèmes de santé sont en effet plus vulnérables.  

Alors qu’elles sont sujettes à des impacts différenciés, les femmes sont aussi sous-représentées dans les ​​instances publiques décisionnelles sur les changements climatiques. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a reconnu l’importance de la participation des femmes dans les décisions et a adopté un objectif d’égalité de genre depuis 2012. Cependant, la parité n’est toujours pas atteinte au sein des membres des organes de la CCNUCC, avec en moyenne ​​seulement 33 % de femmes en 2021 et 39 % en 2022.  

 

La CCNUCC compte 198 pays membres et les antécédents de chaque État en matière d'équilibre entre les sexes varient largement. Lorsque l'on analyse la participation des femmes selon les régions, on constate que les inégalités liées aux ressources, les disparités régionales de pouvoir et les enjeux historiques de représentation peuvent influencer de manière significative les écarts entre la participation des hommes et des femmes.  

En outre, il ne faut pas généraliser l’expérience des femmes comme étant systématiquement celle de la « victime » ou de « personnes vulnérables ». Elles sont aussi dotées d’un pouvoir significatif et ont un rôle essentiel à jouer dans les prises de décision pour lutter contre les changements climatiques.  

 
​​​Inégalités induites par les mesures d’adaptation


L’adaptation aux changements climatiques vise à réduire la vulnérabilité et à renforcer la résilience des populations et des milieux face aux impacts actuels ou futurs du climat. Bien qu’elle repose sur des principes de collaboration et d’inclusion, cette démarche peut parfois accentuer certaines inégalités sociales si les mesures ne tiennent pas compte des réalités et besoins spécifiques des communautés.

Bien que les initiatives de verdissement offrent des avantages environnementaux et psychosociaux, elles peuvent également amplifier les inégalités entre les groupes de la population en raison de l’éco-embourgeoisement. Ce phénomène se traduit par une augmentation des loyers due à l'amélioration des conditions de vie dans le quartier. Les quartiers verts accueillent davantage les populations mieux nanties, tandis que les individus à faible revenu se retrouvent plus souvent dans des zones moins végétalisées.

Ces différences d’accès aux mesures de verdissement s’expliquent aussi par des inégalités territoriales héritées des choix politiques et d’aménagements faits par les acteurs institutionnels. Par exemple, à Montréal, les quartiers excentrés, où se sont naturellement installées les personnes immigrantes et racisées à partir de 1940, ont été largement désinvestis par les pouvoirs publics au profit des politiques de renouvellement du centre-ville et de conversion des espaces industriels. Un rapport sur le racisme systémique à Montréal souligne une répartition inégale des ressources publiques, notamment en ce qui concerne les espaces verts. D’autres études en Amérique du Nord révèlent que l'accès aux milieux naturels et aux zones protégées varie considérablement selon les origines ethnique et culturelle, le revenu et le genre. 

La relocalisation temporaire ou permanente en raison de catastrophes naturelles engendre des inégalités économiques et psychosociales. Les ainés, les personnes à mobilité réduite, les individus issus de la diversité culturelle, les immigrants, les ménages à faible revenu et les habitants de communautés éloignées ou autochtones possèdent une capacité limitée à s’adapter à ce genre de changement drastique. Ces groupes subissent une perte de biens et d'identité, aggravée par un accès limité aux ressources financières et sociales.

Les ménages à faibles revenus peinent à payer les primes d'assurance nécessaires pour la protection préventive de leurs biens contre les risques climatiques. Cette inaccessibilité financière peut exacerber ou engendrer des inégalités d’un point de vue économique et de qualité de vie (bien-être physique et mental) chez les ménages à faible revenus. 
D’autre part, les incitatifs fiscaux pour la rénovation et l’efficacité énergétique des logements s’adressent surtout aux ménages aisés ou à la classe moyenne, et sont souvent peu dédiés au secteur locatif.
 

La publication des cartographies de zones inondables peut entraîner une dévaluation des propriétés, particulièrement pour les logements les moins coûteux. 

Cela en va de même avec la diffusion d’autres données cartographiques pour d’autre types de phénomène climatiques (grêle, incendies, submersion côtière, etc.). Les assureurs peuvent également décider d’augmenter les primes d’assurance, voire de ne pas couvrir les zones à risques. 
 

Le low-carbon gentrification se caractérise par la modification de la composition sociale des quartiers urbains due aux rénovations énergétiques des habitations employés pour s’adapter aux changements climatiques.

Les personnes ayant un statut socioéconomique faible se voient obligées de déménager, car elles ne peuvent payer l’augmentation des loyers. Cela joue sur leur bien-être via une réduction de la stabilité résidentielle, en plus de les priver de ces mesures d’adaptation. 
 

Selon l'Accord de Paris, les gouvernements doivent protéger les droits des personnes handicapées dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques. Bien que le Canada ait intégré une mention des personnes en situation de handicap dans sa Contribution Déterminée au niveau National (CDN), le texte est vague et manque d'actions concrètes pour consulter et protéger les droits de ces individus. 
De plus, la politique d'adaptation du Canada ne fait pas mention des droits des personnes en situation de handicap, les décrivant simplement comme un groupe vulnérable sans proposer de solutions spécifiques. L'absence de représentation de ce groupe de la population dans les négociations climatiques représente une inégalité cruciale.
 

Plusieurs systèmes d’alertes climatiques existent pour informer la population des dangers encourus lors d’événements climatiques, comme les froids extrêmes et les vagues de chaleur. Certains groupes de la population peuvent éprouver des difficultés à accéder à ces outils, soit :

  • Les personnes analphabètes
  • Les immigrants non francophones ou anglophones
  • Les personnes isolées sans moyens de communication
  • Les individus ayant des handicaps psychologiques
  • Les personnes en situation d’itinérance

Cette inaccessibilité des outils d’alerte et des documents de planification peut créer des inégalités dans la capacité d’adaptation des individus face aux recommandations gouvernementales. Pour remédier à cette inégalité, il s’avère impératif de diversifier les canaux de communication et d'impliquer activement les populations vulnérables dans toutes les étapes de la planification de ces outils.  
 

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